Critique Film : The Grandmaster 一代宗师 2D/3D, Kung-fu Love Story à angles de narration multiples !!!
Voilà une chronique qui traînait depuis assez longtemps dans mes cartons…mais avec toutes les versions que The Grandmaster a sorti en 2 ans, je voulais être à peu près sûr qu’un nouveau montage n’apparaisse pas entre-temps…
Wong Kar-Wai est un perfectionniste…
Ces œuvres mêlant narration atmosphérique et esthétique ultra léchée sont reconnaissables entre toutes.
Lorsque ce dernier décide de s’attaquer à l’adaptation cinéma de la vie du Maître du Wing Chun, Yip Man (plus tard instructeur de notre légendaire Bruce Lee), nous étions alors loin d’imaginer dans quel projet « monstre », l’esthète aux lunettes noires allait s’embarquer…
La suite on la connaît, après huit années de préparation (de 2001 à 2009), suivies de trois années de tournage difficile (de 2009 à 2012)… L’aventure arrive finalement à son terme avec un total de 90 heures de pelloche en boîte !
Le public Chinois et Hongkongais découvre le film en janvier 2013…et c’est un énorme succès. Le film reçoit une pluie de récompenses en Asie, dont 12 Hong Kong Film Awards et 6 Golden Horse Awards, saluant de manière totale et unanime la prestation de Zhang Ziyi dans le rôle magnifique de Gong Err.
Alors qu’on s’attendait à une nouvelle variation cinématographique de la vie du célèbre artiste martial, l’œuvre s’est finalement muée en une somptueuse fresque « philosophique » sur le monde des arts martiaux et le déclin qu’elle connut au cours du siècle dernier. De part son atmosphère et son ambiance particulière, le film prend même à de nombreux moments des atours de véritable saga mafieuse, où l’on aurait remplacé les flingues par des pieds et des poings. (L’hommage musical de Shigeru Umebayashi à l’un des thèmes d’Ennio Morricone dans C’era una Volta in America de Sergio Leone, ne fait que renforcer cette impression).
Le paradoxe avec les Films Ip Man réalisés par Wilson Yip avec Donnie Yen en tête d’affiche, est d’autant plus saisissant que, mise à part le contexte historique, à aucun moment dans Grandmaster on n’a l’impression d’assister à une redite de ce qu’il nous fut présenté dans les précédents biopics. Le personnage de Yip Man incarné ici par Tony Leung Chiu Wai, tient d’ailleurs plus de l’hybridation fantasmé entre le maître et son élève le plus connu Bruce Lee.
Si j’évoque avec insistance le nom de ce dernier, c’est parce que son importance dans le processus de conception de l’œuvre de même que dans le message véhiculé par celle-ci, est beaucoup plus importante qu’il n’y paraît de prime abord. En effet, la genèse du projet remonte à l’époque du tournage en Argentine de Happy Together en 96-97, où le réalisateur tomba par hasard sur un magazine où Bruce Lee était en couverture. Impressionné de constater à quel point l’acteur était encore si populaire plus de 20 ans après sa disparition, c’est de cette constatation que naquit son envie d’en réaliser un film. Originellement prévu pour conter la légende de la star, ce sera au fil des recherches que le projet déviera finalement sur son illustre maître, pour aboutir au Grandmaster que l’on connaît aujourd’hui. Néanmoins l’aura de Bruce Lee plane indéniablement sur l’ensemble du métrage, avec d’indéniables références à la filmographie de l’acteur, comme par exemple cette séquence où Yip Man affronte tour à tour les différents maîtres du Wing Chun…Une ascension au sein de l’établissement qui n’est pas sans rappeler Game of Death. (Pour finir, Tony Leung avouera lui-même en interview, que sa préparation pour interpréter le personnage, tenait autant de Bruce Lee que de Yip Man).
Mais restons encore un peu plus dans le domaine martial, en nous attardant à présent sur l’un des attraits majeurs de tout film d’arts martiaux, ces chorégraphies.
Ici dirigées par le grand Yuen Woo-Ping, elles détonnent également dans le style de celles des précédentes adaptations de la vie du maître, qui étaient orchestrées par un autre très grand chorégraphe martial Sammo Hung. Ce dernier avait par d’ailleurs déjà travaillé avec Wong Kar-Wai à l’époque de Ashes of Time, mais le réalisateur souhaitant quelque chose de totalement différent de ce qui avait été fait auparavant, préféra assez logiquement faire appel à un autre chorégraphe.
D’ailleurs, je trouve à mon sens que le style de Yuen Woo-Ping souvent propice aux ralentis, s’harmonise ici parfaitement bien avec l’esthétisme atmosphérique de Wong Kar-Wai. Nul doute néanmoins, que le style plus frénétique et nerveux des chorégraphies de Sammo Hung nous aurait également offert de l’excellent spectacle, mais il est certain que l’angle d’approche des combats s’en serait retrouvé complètement changé. Il est en tout cas très appréciable de constater que chacun dans leur style, les 2 chorégraphes (l’un en 2009, l’autre en 2014) furent tour à tour récompensés d’un HK Film Award pour leur approche chorégraphique dans un film traitant de la vie de Yip Man.
En définitive, Sammo Hung comme Yuen Woo-Ping, nous aurons permis de découvrir deux approches martiales du même maître. Libre après au spectateur de se faire sa propre idée sur la variation martiale qu’il préfère.
Justement des variations, il en existe déjà beaucoup pour The Grandmaster, des variations de montage j’entends…pas moins de 4 existent déjà actuellement…
Les montages de films asiatiques charcutés dans leur exploitation internationale, c’est devenu un grand classique me direz-vous, néanmoins ici les modifications effectuées sur l’œuvre ont été réalisées dans le but de délivrer un message différent au récit.
La durée initiale du métrage pour le public asiatique est de 130 min. Il s’agit à ce jour du montage le plus long du film.
Un autre montage de 122 min est proposé pour l’international. Légèrement amputé par rapport à l’original, tout en contenant néanmoins quelques rajouts. Le message final est également différent de celui du montage asiatique, plus ouvert philosophiquement avec une dimension spirituelle bouddhiste, alors que la version internationale est davantage axée sur la transmission du savoir et l’héritage des traditions.
Un troisième montage existe pour la distribution aux US…d’une durée de 108 min…nettement plus court, il est néanmoins le seul où apparaît la scène de la rencontre entre Yip Man et « La Lame » (Chang Chen).
Ainsi, de part chacune de leur différence, aussi minimes soient-elles, chaque montage présente finalement un intérêt certain.
Sauf que, le montage américain est loin d’être le dernier en date…
En effet, tout juste 2 ans après sa sortie, le film est ressorti en Chine (janvier 2015) dans une toute nouvelle version, raccourcie à une durée de 111 min et surtout convertie en 3D, telle que le souhaitait le réalisateur…
Ce nouveau montage en 3D serait sans doute bien anecdotique pour nous (outre le fait que le film était déjà visuellement sublime en 2D ainsi qu’il y ait également très peu de chances qu’on puisse le découvrir dans ce nouveau format en Occident), si seulement Wong Kar-Wai ne nous promettait pas un tout nouveau métrage. Ce dernier serait cette fois-ci essentiellement centré sur le parcours personnel de Yip Man, ainsi que sur sa romance avec Gong Err (pour rappel, chacun interprétant respectivement les grands maîtres de Kung-fu du Sud et du Nord de la Chine), là où les versions 2D ne faisaient que survoler ces deux aspects du récit, pour davantage s’attarder sur l’histoire et l’essence même du Kung-fu, ainsi que les multiples protagonistes et variantes martiales qui la compose.
Il est malheureusement vrai qu’écrasée au sein d’un récit elliptique relatant le déclin des arts martiaux sur près de 30 ans…la rivalité/relation d’amour/amitié entre les 2 personnages avait bien du mal à se faire une place au cœur de l’intrigue.
C’était d’ailleurs d’autant plus dommage que les quelques scènes romantiques montrées dans l’histoire, figuraient parmi les plus touchantes du récit et rehaussaient grandement l’intérêt porté aux principaux protagonistes.
Wong Kar-Wai étant par ailleurs un maître du romantisme, nul doute que reléguer cet angle de narration au 2nd voire 3ème plan du métrage, a dû lui laisser un léger pincement au cœur.
Doit-on cependant s’attendre a un simple remaniement de structure avec ajout de scènes intimistes au détriment de scènes d’actions ?…pas si sûr…
En effet, le nouveau montage contient désormais le fameux duel tant espéré et pourtant absent des 3 précédentes versions, entre Yip Man et « La Lame » (une séquence différente que celle de leur rencontre dans le montage US). Personnage hautement sous-exploité des premiers montages, « La Lame » était pourtant initialement présenté comme la face Yang du récit, en opposition à la face Yin, incarnée par le personnage de Tony Leung.
Si effectivement cette version alternative tient toutes ses promesses (je ne manquerai pas d’éditer ma chronique une fois ce nouveau montage visionné), The Grandmaster apparaîtra ainsi comme l’un de ces grands classiques, nécessitant un temps d’affinage prolongé pour s’apprécier pleinement à sa juste valeur.
Après tout, le métrage proposé sur nos écrans ne représentant finalement qu’1/45ème de tout ce qui a été filmé, ne pourrait-on pas se demander qu’il faille à son réalisateur, un temps de recul supplémentaire pour digérer/décanter/accoucher d’une œuvre si ambitieuse, afin d’en livrer la meilleure version possible ?
A la vue de cette dernière version, spéculer sur un hypothétique cinquième montage (version longue j’entends) synthétisant à la fois l’angle narratif de la romance et celui du monde des arts martiaux, pourrait presque sembler envisageable…
Le débat reste ouvert, néanmoins il y a fort à parier que le métrage n’a pas fini de faire parler de lui, d’autant que l’œuvre est déjà considérée comme un classic en Asie.
A noter que le film, distribué chez nous dans sa version internationale, a été édité par Wild Side dans une superbe édition Blu-Ray Steelbook, dont les nombreuses photos rendent parfaitement hommage au fabuleux travail de Philippe Le Sourd, directeur photo sur le film et également primé à juste titre.
Merci de m’avoir lu,
En espérant vous avoir donné envie de découvrir ou redécouvrir, les multiples versions de cette magnifique fresque martiale.
Sayonara, Bye bye !!